FRANCAIS= LANGUE MORTE ?
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FRANCAIS= LANGUE MORTE ?
Marc BONNANT, vous allez recevoir le 30 juin, le prix du rayonnement français.
Que représente-t-il pour vous?
J'ai l'amour des lettres, j'ai l'amour des mots. Que l'on récompense un amour heureux me paraît une circonstance assez rare et réjouissante. Je suis infiniment heureux. L'autre chose qui me divertit, c'est que je n'ai jamais écrit une ligne, même par inadvertance. Qu'un académicien comme Maurice Druon vienne me donner un prix, cela veut que, bien au-delà de ma personne, c'est la parole qu'on honore. La parole que j'aime, c'est celle qui invente, qui redit le monde, qui n'est pas contingente, utile. La parole parce qu'elle exalte les âmes, qu'elle porte l'esprit à son incandescence, la parole ailée.
C'est votre contribution à la défense de la langue française qui est honorée?
Ce n'est pas que je sois toujours dans la figure canonique de la modestie. Je vis dans la familiarité du génie des gens, ceux de ma bibliothèque. Je vois bien ce qu'il y a de dérisoire dans ce que je suis. Hugo avait dit: "Je serai Chateaubriand ou rien." A quinze ans, je me suis dit: "Je serai Paul Valéry ou rien". Je ne suis pas Paul Valéry, je ne suis rien. Que fait-on avec rien? Pas tout, mais deux ou trois choses. Je suis très préoccupé, pas comme une blessure mais comme une modestie de l'intelligence, par ce que je ne suis pas. Je ne suis pas un créateur, j'ai quelques ressources langagières, des trouvailles, mais je ne peux pas regarder une bibliothèque sans avoir un moment d'humilité. Je n'en finis pas de désigner le goût de la langue comme un chemin escarpé mais le seul qui vous fait parvenir aux cimes. Je ne professe pas beaucoup, mais lorsque je parle à des étudiants, j'essaie de les faire rêver encore autour du modèle de l'honnête homme comme on disait au XVIIe, du sage, de l'érudit. Cette idée que l'on est homme que dans le savoir et que la vie n'a pas beaucoup de sens si on ne la cueille pas comme une chance d'apprendre, de grandir, d'oser. De pousser en hauteur. Autour de l'exigence et de l'effort.
Le jeu de l'esprit est essentiel. Quel autre sens voulez-vous donner à votre vie? La grâce, c'est d'avoir une intelligence ?
Avoir cet incroyable cadeau, cet incroyable instrument et ne jouer jamais aucune partition? Ou faire le choix de partitions les plus sottes? Pourquoi cet engouement des contemporains pour l'inanité? Pourquoi ce goût éperdu du trivial? Il n'y a pas de mépris dans ce que je dis, juste un incroyable étonnement. Nous sommes dotés d'intelligences frémissantes, cela nous permettrait d'entrer en harmonie ou en discorde, et nous sommes là, sujets collectifs, voués aux mêmes tâches, pensant de la même manière, articulant des besoins identiques, généralement de l'ordre de la physiologie. Solidaires? Soit, mais les moutons de Panurge l'étaient aussi. Nous allons gaillardement vers un abîme trouvant heureux d'y aller puisque nous y allons ensemble.
A quoi ça sert, l'imparfait du subjonctif?
C'est un temps merveilleux parce que c'est celui du doute et de la nuance. C'est le temps de l'incertitude donc de l'intelligence. L'exercice de l'intelligence est toujours le deuil des certitudes. L'indicatif est martial, péremptoire, injuste, mutilant. Le subjonctif est ce par quoi une pensée s'élance et immédiatement se met à douter d'elle-même. C'est le temps de la délicatesse, du scrupule, de l'altérité.
Comment va la langue française?
Elle ne va pas.
Elle se meurt. D'abord parce qu'on a cessé de l'aimer. Le goût de la langue, c'est aussi celui de la lecture. On est passé des cabinets de lecture à l'écran télévisuel. Il n'y a pas beaucoup de place dans ce monde de l'image pour celui des mots. Pendant sa leçon inaugurale au Collège de France, Roland Barthe disait: "L'image aura le dernier mot." Elle est en train d'avoir le dernier mot.
Faut-il considérer que nous visons des temps apocalyptiques?
Oui, je le pense. Je suis un nostalgique, pour moi l'âge d'or est révolu.
Qu'avez-vous contre l'image ?
L'image n'est pas une exigence. La lecture en est une. Elle convoque, elle requiert l'esprit et l'analyse. L'image l'imprègne, elle est égalitaire. Il y a quelque chose d'incroyablement inégalitaire dans la langue. Les mots ne laissent pas l'intelligence tranquille. On ne pense pas en images, on pense en mots. L'art de bien penser est l'art de bien parler. Une pensée qui n'est pas dite n'est pas encore une pensée. Tout ce que nous pensons serait intuition aléatoire sans la parole qui le réalise. De surcroît, il y a un courage à la formulation, une exposition de la pensée. Une des raisons de la mort de la langue, c'est ça: plus personne ne lit. Vous me direz que jamais on n'a vendu autant de livres? Je fais juste deux observations: des livres vendus, ce n'est pas encore des livres lus. Il y a des bibliothèques de décoration la symbolique du cadeau du livre. Et puis, il faut voir si les livres sont feuilletés, lus comme la seule manière que l'on a de lire: avec un crayon, avec le Littré, un traité de prosodie, un traité d'étymologie. On entre en lecture comme on entre en religion. On dit que Flaubert se mettait en habit pour écrire. On pourrait imaginer que l'on se mette en habit pour lire. Pas comme devant la télévision, en grignotant du pop-corn et en caressant distraitement l'être aimé. La lecture, c'est sérieux et profond.
.../...
Vous décrivez l'apocalypse de la langue et de beaucoup de choses mais sans être désespéré: comment faites-vous?
Le pessimisme est une question d'humeur, l'optimisme une question de volonté. Les deux voient le même crépuscule mais le pessimiste voit la menace de la nuit, l'optimiste la promesse de l'aube. Rien ne me plaît dans le monde ce que je vois, alors que faire? C'est le mien. Je ne peux pas être sénateur romain. S'il n'y avait pas eu cette révolution scélérate que je hais, je serai aux écuries. Je comprends bien cela. Je n'ai pas le goût du monde mais j'ai le goût des hommes. Camus disait "l'homme cette passion inutile." L'alternative est simple: ou ce monde me déplaît et je le quitte. Ou j'éprouve la nécessité de vivre, et j'essaie de la transformer, et d'abord de transformer mon regard. Alors, voilà une rencontre, un livre... On peut vivre dans le passé tout en étant du monde. Cela me va.
Pourquoi refusez-vous d'écrire?
C'est une modestie de bon aloi. Je ne considère pas qu'il suffit d'avoir une vie pleine et belle pour qu'elle touche à l'universel. Ai-je quelque chose d'unique à dire? La réponse est non. La parole me va parce qu'elle est éphémère. Je ne tiens pas dans la durée. J'aime ce côté fugace, éphémère. J'aime ce rien qui naît, qui meurt. Charpentier disait que la parole est une fusée dans la nuit. Oubliez ce que je viens de dire mais si, en m'ayant quitté, vous pensez d'autres choses que ce que ne vous pensiez pas avant, alors ma parole a une vie après la mort. Ce que j'ai dit n'a aucune importance, l'important est ce que j'ai déterminé chez vous.
Extraits d'un entretien avec Marc BONNANT, avocat genevois, Prix du rayonnement français.
Journaliste: Ariane Dayer - Le Matin Dimanche 16/6/07
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