INTERVIEW de Christian GRENIER
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INTERVIEW de Christian GRENIER
1. Comment vous est venue l’idée de la série Logicielle ?
Ma fille Sophie est à l’origine de tout !
En 1993, elle avait 23 ans. Elle lisait peu mes romans qui, à l’époque,
relevaient souvent de la science-fiction. Son genre préféré, c’était le roman policier. Un jour, elle me jeta un défi déguisé :
- Dommage que tu n’écrives pas de romans policiers. Ça, c’est passionnant !
Mais évidemment leur structure est complexe. C’est une déconstruction subtile, que l’enquêteur doit opérer en même temps que le lecteur. Il faut que l’auteur maîtrise l’ensemble du récit. C’est une littérature difficile à maîtriser, voilà pourquoi tu ne t’y es jamais risqué !
Piqué au vif, je voulus prouver à ma fille que j’étais capable d’en écrire
un. Mais à l’époque, je n’imaginais pas du tout entreprendre une série.
Depuis longtemps, je voulais rendre hommage à mes parents et consacrer un récit au monde des comédiens. La suggestion de Sophie me permettrait de faire d’une pierre deux coups : ce policier se déroulerait dans un théâtre. Mieux : pour sceller notre complicité, je décidai de nous mettre en scène, Sophie en jeune stagiaire entrée récemment dans la police et moi, déguisé en inspecteur vieillissant. Ainsi naquirent dans Coups de théâtre les personnages de Germain Germain-Germain et celui de Logicielle, sa stagiaire.
Le succès de ce premier roman fut une surprise. Il obtint deux prix et fut
aussitôt réédité. Les lecteurs que je rencontrais voulaient notamment savoir…
* si Logicielle, simple stagiaire, deviendrait lieutenant de police
* où elle serait nommée
* si elle aurait de nouvelles enquêtes à mener
* si Germain, de son côté, obtiendrait sa mutation pour Bergerac
* quelle était la nature des sentiments de mes deux héros
* s’ils étaient amenés dans le futur à se rencontrer, à enquêter encore ensemble.
Bref, mes lecteurs (et, euh… ma fille !) me pressaient d’écrire la suite de Coups de théâtre. La série était née.
2. Ainsi, Logicielle serait votre fille ?
Disons qu’elle m’a servi de modèle pour construire mon personnage :
dans Coups de théâtre, Logicielle a le physique, le caractère, l’humour, le sens de la repartie - bref, la personnalité qu’avait Sophie en… 1993 ! Dans L’Ordinatueur, les relations que Logicielle entretient avec Max (du genre « je t’aime, moi non plus ») sont celles que Sophie entretenait à l’époque avec le garçon qu’elle fréquentait… et qu’elle a fini par épouser.
Mais la spécialité de Logicielle, l’informatique, qui justifie d’ailleurs son
sobriquet, est le domaine de prédilection de… mon fils : il est informaticien.
D’une certaine façon, le personnage de Logicielle possède le caractère et
le physique de ma fille et… les connaissances et la passion de mon fils !
Aujourd’hui, Sophie (qui n’a jamais travaillé dans la police) est attachée
de direction et mère de famille.
Dans mes romans policiers, Logicielle vieillit moins vite que son modèle.
Elle continue d’être courtisée par Max. D’enquête en roman, la vie
professionnelle et affective de mon héroïne suit son propre cours… un cours forcément très différent de son modèle d’origine.
3. Et Germain Germain-Germain ? Vous ressemble-t-il vraiment ?
Physiquement et moralement, sans aucun doute. Parmi tous mes personnages (un millier, éparpillés dans cent romans et cent cinquante nouvelles), Germain est le plus proche de moi.
Au début de Coups de théâtre, les confidences de mon double à sa jeune
stagiaire sont d’ailleurs conformes à ce que j’ai vécu. Après la mort de ma mère, mon père s’est remarié et a demandé à sa seconde épouse de m’adopter s’il disparaissait avant elle. À trente-sept ans, j’ai ainsi été adopté par la deuxième femme de mon père. Si bien que je porte, accolé à mon propre nom, celui de ma mère adoptive... Grenier bien entendu ! Ainsi mon nom complet est devenu Christian Grenier-Grenier. Germain, ainsi appelé en raison de mes affinités avec l’Allemagne (je parle couramment l’allemand), aurait son patronyme triplé : prénom, nom et nom d’adoption seraient le même.
Comme le note Sylvie Florentin dans l’étude qu’elle a consacrée à mes
personnages (Les enquêtes de Logicielle sur le site de CG), Germain, comme moi, a le défaut d’étaler ses connaissances littéraires, historiques ou musicales. Germain, comme moi, s’est retiré dans le Périgord, il est tombé amoureux de ses paysages, de sa douceur de vivre, de son histoire et de sa gastronomie. Il vit au Fleix, à cinq kilomètres de Sainte Foy la Grande et à vingt kilomètres de Bergerac, habite une grande maison carrée flanquée de deux pigeonniers, comme moi.
4. Les différents univers de la série vous sont donc très proches ?
En effet, les lecteurs de "Je suis un auteur jeunesse" l’auront aisément
déduit de toutes les informations et confidences que je livre dans mon essai. Si Max fait de la prestidigitation (dans Attention à la marche !), de la moto en permanence et du vélo (dans Big Bug), c’est parce que j’ai moi aussi pratiqué ces activités.
En 1963, à l’Ecole Normale d’Auteuil, j’ai appris l’art de l’illusion avec
un camarade qui utilisait déjà son futur nom de scène : Gérard Majax.
Dans les années 80, responsable de Folio-Junior SF, je me déplaçais à
moto dans Paris, de Gallimard à l’agence Sygma ou Roger-Viollet.
Quant au vélo, c’est une vieille passion que j’ai transmise à mon fils.
Les enquêtes de Logicielle ont lieu tour à tour à Paris, en banlieue et dans
le Périgord - villes et régions que j’ai habitées. Quant aux milieux dans lesquels mes personnages évoluent, je les ai choisis parce que je les connais bien.
J’ai longtemps côtoyé le monde du théâtre. Mes parents étaient
comédiens, et mon père a fini sa carrière comme régisseur à la Comédie
Française.
Je suis un grand amateur de musique - un domaine que j’ai également
exploré dans mes deux romans jumeaux Le Pianiste sans visage et La Fille de 3ème B.
Le choix de l’informatique ? Il n’est évidemment n’est pas dû au hasard :
mon fils est informaticien. Du coup, la spécialité de mon héroïne me permet d’aborder des technologies de pointe dont je suis l’évolution avec passion. Et puis un auteur qui a longtemps écrit de la science-fiction s’intéresse forcément aux dernières découvertes de la biologie, de l’astronomie, et des mondes virtuels. Des domaines rarement exploités dans le roman policier traditionnel.
5. On a l’impression que vous vous amusez à jongler avec ces univers.
C’est bien possible !
J’ai sous-titré Coups de théâtre « roman policier en cinq actes » parce que l’ouvrage relève résolument du roman mais offre la structure apparente d’une pièce.
De même, dans @ssassins.net, l’objectif de Logicielle est de découvrir
qui a tué Cyrano de Bergerac. Cet écrivain transformé par Edmond Rostand en personnage de théâtre me passionne depuis l’enfance. C’est l’un des premiers à avoir utilisé les sciences dans un récit de fiction. Il a connu et fréquenté Molière, qui m’est cher pour mille raisons, ne serait-ce que parce qu’il a été à la fois auteur et comédien… et le fondateur involontaire de la Comédie Française.
Or, pour parvenir à ses fins et explorer le Paris de l’an 1654, Logicielle
utilise l’informatique de pointe, elle plonge dans un univers virtuel, mène une enquête trépidante et parvient à déjouer le complot d’une secte prête à envahir Internet. Du coup, mon roman relève à la fois du polar, de la SF, du roman historique et… social ou politique !
6. Et le décor de Simulator, est-il imaginaire ?
Non, le décor est réaliste parce que… je suis allé sur l’île de La Réunion.
L’idée de Simulator m’est venue à la suite d’un séjour que j’y ai effectué
en mai 2000. J’avais été invité par les documentalistes pour venir m’entretenir là-bas pendant quinze jours avec les jeunes lecteurs des collèges.
Ma femme Annette et moi étions hébergés dans un luxueux hôtel à Saint
Gilles, le Saint-Tropez de La Réunion. Voilà pourquoi c’est là qu’atterrit
Logicielle, invitée par un Karnac’h qui ne lésine pas sur les moyens. Le
bungalow qu’elle occupe est identique à celui que nous avons habité, à la fois proche du lagon et de la piscine, noyé dans un vrai jardin exotique.
Quinze jours plus tard, nous avons loué une voiture et établi notre camp
de base non plus à Saint Gilles mais sur la côte opposée, moins touristique et plus sauvage. Dans les hauts de Saint André, où la chaleur est moins étouffante, nous avons loué un gîte. À Saint André, proche de Bras Panon, nous voyions de notre chambre et de la terrasse, la mer, les champs d’ananas et, au loin, le Piton de la Fournaise, dont le sommet était souvent noyé par les nuages. Ses éruptions, plus spectaculaires que dangereuses sont fréquentes et attirent les touristes. Nous avons visité les cirques de Silaos, Mafate, Salazie... et bien entendu le volcan.
Pour la fin de mon récit, j’ai préféré utiliser un décor moins célèbre
mais très impressionnant : la vallée de Takamaka, profonde et longue gorge accessible depuis la petite ville de St André. La centrale électrique et la retenue d’eau existent, ainsi que le chemin fort étroit et dangereux qui serpente vers la vallée.
En revanche, j’ai inventé les grottes. Elles n’existent pas à cet endroit
mais sont plus proches du volcan. Les « grottes volcaniques » sont bel et bien une particularité géologique.
Quant au crash, il est bien sûr imaginaire, ainsi que la compagnie aérienne privée.
7. Les technologies mises en oeuvre sont-elles réelles ou imaginaires ?
Là encore, je me sers du réel pour construire une fiction vraisemblable.
Si l’OMNIA 3 n’est pas en vente dans le commerce, les ordinateurs à
réseaux de neurones sont bel et bien à l’étude. D’ailleurs, les technologies que j’avais imaginées en 1993 (logiciel de reconnaissance vocale, support multicouche réenregistrable, etc.) sont aujourd’hui d’un usage courant.
Quant au Simulator, cet ordinateur moléculaire révolutionnaire, sa taille
réduite, sa capacité de stockage et son fonctionnement m’ont été suggérés par mon ami Daniel Collobert. Chercheur au CNET de Lannion, il a longtemps travaillé sur des ordinateurs à réseau de neurones et il s’est attelé à la conception des prototypes d’ordinateurs moléculaires. De tels appareils existent donc déjà. Ils sont à l’étude, mais leur commercialisation ne semble pas être immédiate.
Certains romans de la série pourraient donc relever de ce que Michael
Crichton appelle des techno-thriller : des récits policiers mettant en oeuvre des technologies de pointe, et dans lesquels le lecteur est amené à s’interroger sur la pertinence ou les dangers de leur utilisation à grande échelle…
8. Avez-vous toujours besoin du réel pour fabriquer de la fiction ?
Bien sûr ! On ne crée pas à partir de rien.
Consciemment ou non, l’écrivain utilise toujours des éléments du réel.
Parfois de façon avouée et presque totale, comme dans les romans historiques ou les biographies à peine déguisées (Un sac de billes de Joffo, quasiment toute l’oeuvre de Robert Sabatier - sans parler de À La Recherche du Temps perdu).
Eh oui, l’histoire et les souvenirs constituent le matériau préféré d’un grand nombre d’écrivains.
Dans les autres domaines, où la fiction a la plus grosse part (romans
d’aventure, SF, heroic fantasy, etc.), la dose d’imaginaire est bien sûr plus importante mais le point de départ vient de la réalité : un article de journal, une information, une émotion, une scène à laquelle on a assisté et qui nous a frappé...
Ensuite, comme je l’explique longuement dans "Je suis un auteur
jeunesse", interviennent l’art, la technique et les capacités de l’auteur à conjuguer et à décliner situations et caractères.
Ce jeu de construction constitue parfois un vrai défi : à partir de fondations en apparence médiocres ou futiles, l’écrivain édifie un véritable monument, qu’il s’agisse de La vie mode d’emploi de
Georges Pérec ou du Seigneur des anneaux de J.R. Tolkien.
Le quotidien est une source d’inspiration permanente. Quand on écrit, être attentif aux moindres petits événements de la vie courante relève vite de l’instinct. De même qu’un photographe ou un peintre découvre sans cesse un sujet (scène, visage ou paysage) là où le promeneur ordinaire n’aurait pas levé les yeux, un écrivain se nourrit d’informations qu’il engrange pour - qui sait ? - les utiliser plus tard.
Récemment, en sortant du train à Bruxelles où j’étais invité pour la Foire
du Livre, Annette et moi sommes tombés en arrêt, sur le quai de la gare, devant deux splendides mèches de cheveux abandonnées. De longs cheveux de femme, bouclés, d’un beau châtain. Les passagers s’écartaient pour éviter de marcher dessus.
J’ai chuchoté à l’oreille d’Annette :
- Il y a là un sujet de roman.
- Vraiment ? Et lequel ?
- Je l’ignore encore. Mais quand on veut se couper les cheveux, on va chez le coiffeur ou on le fait chez soi, dans la salle de bains. Ici, une femme a effectué ce geste en montant dans le train – ou en arrivant en gare. Sur une impulsion brutale. Pour quelle raison ? Se couper de telles mèches, ce n’est pas anodin. Il est arrivé à cette femme quelque chose d’important, de grave. Mais quoi ?
Dans mon esprit commençaient à mûrir plusieurs scénarios.
Ecrirai-je un jour une histoire à partir de cet événement ?
Je l’ignore.
Il faut que du temps passe, que les idées s’organisent, que le récit se construise lentement… ou que l’idée, finalement moins riche que prévue, finisse par s’effacer et disparaître de mes pensées...
BIBLIOGRAPHIE :
Je suis un auteur jeunesse – Rageot
Les surfeurs de l’inconnu – Nathan
Le soleil va mourir – Pocket
Les 7 titres de la série des Enquêtes de Logicielle sont parus dans la
collection Heure noire – Rageot.
(Nous remercions les editions RAGEOT pour cette interview de son auteur vedette.)
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